Je connais le désespoir dans ses
grandes lignes. Le désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une
table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C'est le désespoir et ce
n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la
nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre
à boire. C'est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent
et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes
lignes. Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux. C'est le désespoir.
Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne
tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste, nous n'en parlons pas. Nous
n'avons pas fini de désespérer, si nous commençons. Moi je désespère de l'abat-jour
vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la
cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir
n'a pas de cœur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont
les glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. (...)
In "le révolver À cheveux blancs", André Breton
Tuesday, 2 February 2016
Le Verb Être
Posted by O Coxo at 21:38
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