Saturday, 10 November 2012

carnets du sous-sol

Je vous assure, messieurs : avoir une conscience trop développée, c’est une maladie, une maladie dans le plein sens du terme. Dites-moi une chose : pourquoi est-ce que plus je prenais conscience du bien, de tout ce « beau » et ce « sublime », plus je m’engluais dans mon marais, et plus j’étais capable de m’y noyer complètement ?

(...)

Au fond du cœur, on n’y croit pas, qu’on souffre, c’est un sarcasme qui vous remue, mais moi, je souffre, et de la manière la plus vraie, la plus règlementaire ; je suis jaloux, je bous et je trépigne… Et tout cela, messieurs, c’est par ennui – oui, par ennui ; le poids de l’inertie. Car elle est un fruit direct, légitime, une conséquence logique de la conscience, cette inertie – cette position consciente les bras croisés. J’en ai parlé plus haut. Je le répète, je répète et j’insiste : les hommes spontanés, les hommes d’action sont justement des hommes d’action parce qu’ils sont bêtes et limités. Comment j’explique cela ? Très simple : c’est cette limitation qui leur fait prendre les causes les plus immédiates, donc les causes secondaires, pour des causes premières ; ainsi parviennent-ils plus facilement et plus vite que les autres à se convaincre d’avoir trouvé la base indubitable de leur affaire – et ça les tranquillise ; et c’est là l’essentiel. Parce que, pour se mettre à agir, il faut d’abord avoir l’esprit tranquille, il faut qu’il n’y ait plus la moindre place pour les doutes.

(Fiodor Dostoïevski in "notes from the underground")

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